Déposer une indication géographique protégée

Nathalie Gauthier Rougon (Institut national de la propriété industrielle) : Les marques, indications géographiques et obtentions végétales sont des droits de propriété industrielle spécifiques et bien distincts.

Tout d'abord, la marque. C'est un signe qui sert dans le commerce à désigner les produits ou services d'une entreprise. Sa fonction essentielle est donc de distinguer ces produits et services de ceux des concurrents. Ainsi, pour être enregistré, Le signe déposé à titre de marque doit se différencier suffisamment de la simple désignation des produits ou services ou de la description d'une de leurs caractéristiques. En outre, il ne doit pas tomber sous le coup d'autres motifs absolus de refus, notamment ne pas présenter un caractère trompeur, contraire à l'ordre public ou aux bonnes mœurs, ne pas être légalement interdit ou exclu de l'enregistrement par certaines législations.

Par ailleurs, la marque peut être rejetée ou invalidée à l'initiative de tiers si elle porte atteinte à certains droits antérieurs, notamment une indication géographique. La marque confère au titulaire un monopole privatif sur le signe, pour les produits ou services qui sont désignés, et ce, pour une période de 10 ans, renouvelable indéfiniment.

À présent, l'indication géographique. L'indication géographique est un signe qui est apposé sur un produit en ce qu'il a une origine géographique précise et qu'il possède des qualités, une notoriété ou des caractères qui sont essentiellement dus à ce lieu d'origine. Sa fonction essentielle est donc de garantir l'origine du produit, l'origine géographique, et ses caractéristiques liées à cette origine. En cela, elle ne pourrait être également enregistrée à titre de marque en France pour ce produit, car elle serait alors descriptive.

Il existe plusieurs catégories d'indications géographiques valables en France. La majorité, ce sont les indications géographiques de l'Union européenne (IGP, AOP) qui bénéficient à certains produits agroalimentaires et boissons alcooliques. Leur protection est régie par les règlements européens. On citera également, comme autres grandes catégories, les indications géographiques de produits industriels et artisanaux (IGPIA), qui existent en France depuis 2015. Elles sont homologuées par l'INPI et régies par le Code de la propriété intellectuelle.

L'enregistrement de l'indication géographique suppose l'homologation d'un cahier des charges qui précise notamment la dénomination, le produit concerné, la délimitation de la zone géographique et les caractéristiques du produit qui sont essentiellement attribuées à cette zone géographique.

À la différence de la marque, l'indication géographique est valable sans limite de temps et confère une exclusivité collective sur la dénomination protégée, c'est-à-dire qu'elle bénéficie à tous les opérateurs qui commercialisent le produit conformément au cahier des charges.

Enfin, la variété végétale. La variété végétale désigne un groupe précis de plantes sélectionnées à partir d'une espèce et dotées d'un ensemble de caractères communs. Une nouvelle variété et sa dénomination peuvent être protégées par un titre que l'on appelle le certificat d'obtention végétale. Pour l'obtenir, la variété doit être nouvelle, distincte, homogène et stable, et la dénomination choisie doit permettre d'identifier la variété par rapport à toute autre, sans prêter à confusion avec une autre variété d'une espèce commune ou voisine, ni être trompeuse, ni être contraire aux bonnes mœurs ou à l'ordre public.

Le certificat d'obtention végétale confère à l'obtenteur, pour 25 ou 30 ans selon l'espèce, une exclusivité privative sur la variété et une protection sur sa dénomination. Au titre des motifs relatifs, il est possible de rejeter ou d'annuler une marque sur le fondement de l'atteinte à une indication géographique antérieure. 

En outre, depuis la réforme de 2019, le Code de la propriété intellectuelle a ajouté en tant que motif absolu de refus ou d'annulation d'une marque, le cas où la marque est exclue de l'enregistrement en vertu des législations qui prévoient la protection des indications géographiques.

Ces dispositions prévoyant la protection des IG précitées fixent une liste graduée d'agissements illicites. Nous en citerons deux principaux. D'une part, l'utilisation commerciale de l'IG pour des produits comparables qui ne respectent pas le cahier des charges ou dans la mesure où cette utilisation exploite, affaiblit ou atténue la réputation de l'IG. D’autre part, l'IG est protégé contre toute usurpation, imitation ou évocation. Dans le cadre de l'examen de la validité de la marque, l'INPI notifiera sur la base notamment de ses dispositions un refus d'enregistrement, pour des produits de même nature que ceux bénéficiant de l'IG ou pour leur catégorie plus générale. Et dans certains cas, la marque pourra être régularisée par une limitation à des produits bénéficiant de l'IG conservé. En revanche, dans le cadre d'une opposition ou d'une demande en nullité, la marque pourra être invalidée dans une plus large mesure. La démonstration du requérant est à cet égard très importante.

L'INPI s'est récemment prononcée sur une atteinte à l'IG Cognac par un signeCognapea qui désignait précisément les produits bénéficiant de cet IG. Les opposants avaient démontré d'une part que le signe évoquait l'IG et surtout ils avaient souligné qu'une telle évocation, même pour des produits authentiques, était préjudiciable à l'IG en ce que le signe tronquait, dénaturait la dénomination cognac et affaiblissait sa réputation. L'INPI a reconnu l'opposition justifiée, en tenant compte notamment du fait que les textes protègent les IG contre toute évocation, sans limitation particulière quant aux produits visés. En ce sens, un arrêt du 26 mai 2023 de la Cour d'appel de Paris a annulé des marques « newrhone » qui désignaient des vins bénéficiant des AOP invoquées. Les juges ont affirmé, par principe, qu'un vin qui est conforme au cahier des charges et qui bénéficie de l'appellation d'origine, ne peut toutefois faire usage de celle-ci que sous sa forme enregistrée, tout autre usage n'étant pas autorisé, qu'il s'agisse d'une imitation ou d'une évocation. 

Depuis la réforme du PEC et marque de 2019, le Code de la propriété intellectuelle prévoit, comme motif absolu de rejet ou d'annulation d'une marque, le cas où celle-ci consiste en la dénomination d'une variété végétale protégée ou la reproduit dans ses éléments essentiels si les produits sont des variétés végétales d'une espèce commune ou étroitement liées. Sur ce fondement, l'INPI émettra un refus. Pour des produits qui correspondent à la variété végétale ou à une catégorie plus générale qui l’inclut, si le signe déposé contient la dénomination protégée, et qu'elle y est immédiatement perceptible et essentielle. La notification du refus s'accompagne en principe d'une proposition de régularisation par la simple exclusion des produits correspondant à cette variété végétale. Bien sûr, c'est sous réserve que la marque ne tombe pas par ailleurs, sous le coup d'autres motifs de refus qui puissent exclure cette régularisation.

Nous citerons un exemple, une marque Atticus Gourmet. Cette marque a fait l'objet d'un refus notamment pour des produits agricoles et horticoles, des plantes et des plants, parce qu'elle contenait le terme « Atticus », qui est le nom d'une variété végétale d'asperges, et que ce terme « Atticus » avait un caractère essentiel dans le signe, « Gourmet » étant plus petit et non distinctif. La marque a été régularisée par la précision que les produits étaient à l'exclusion des asperges. 

La transposition de la Directive européenne de 2015 a eu notamment pour effet en France de renforcer la protection de certains droits vis-à-vis des marques, notamment les obtentions végétales et les indications géographiques. La protection des obtentions végétales demeure toutefois assez limitée et donne lieu à peu de litiges. À l'inverse, les actions fondées sur les indications géographiques sont de plus en plus fréquentes et ambitieuses. Elles sont encouragées notamment par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne qui favorise une protection forte des IG. À cet égard, un recours est actuellement pendant devant le tribunal de l'Union européenne. Il concerne une marque « Nero Champagne ». Ce litige sera peut-être l'occasion de recueillir de nouveaux éclairages sur la protection des IG à l'égard de produits qui en bénéficient. Affaire à suivre.