Droit d’auteur et jeux vidéo : quels enjeux ?

Dans notre série sur la propriété intellectuelle dans l’économie numérique, nous interrogeons Antoine Casanova, avocat au barreau de Paris spécialisé dans les nouvelles technologies et la propriété intellectuelle, sur la façon dont le droit répond aux enjeux posés par les jeux vidéo. Sachant que ceux-ci sont des œuvres protéiformes qui mêlent logiciels, musique, graphisme, etc., qui dépendent de régimes différents. Pour lui, le statu quo jurisprudentiel actuel n’est plus suffisant. Malgré une croissance à deux chiffres, le secteur présente en effet des risques juridiques qui pourraient freiner d’éventuels investisseurs.

Pourquoi estimez-vous que le régime juridique actuel du jeu vidéo est problématique ?

Antoine Casanova : Il n’y a toujours pas de loi sur le régime de propriété intellectuelle applicable aux jeux vidéo, malgré l’existence de deux rapports parlementaires successifs sur le sujet. En conséquence, c’est la jurisprudence Cryo — du nom d’un arrêt de la Cour de cassation datant de 2009 — qui s’applique. Dans cet arrêt, la Cour déclare que le jeu vidéo est une œuvre complexe qui nécessite l’application d’un régime distributif. Concrètement, il faut recourir au régime de l’œuvre logicielle pour la composante logicielle du jeu, à celui de l’œuvre audiovisuelle pour la cinématique, à celui de l’œuvre musicale pour la musique, etc. C’est une véritable usine à gaz, et un facteur d’insécurité juridique pour les investisseurs, alors même que le secteur des jeux vidéo pèse 2,6 milliards d’euros en France. La situation est différente aux États-Unis, par exemple, où la catégorie de l’œuvre à laquelle appartient le jeu vidéo dépend de la prédominance de l’une de ses composantes : logicielle, graphique, audiovisuelle. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’estime qu’en France, le droit de la propriété intellectuelle n’est pas entré dans le XXIe siècle en ce qui concerne les jeux vidéo.

Quels sont les autres enjeux auxquels le droit va devoir s’adapter dans les années à venir pour ce secteur ?

A. C. : Un domaine se développe de manière considérable : l’e-sport. Cet écosystème basé sur les jeux vidéo est encore peu important en France mais croît très fortement. Dans d’autres pays, en Corée du Sud ou au Japon par exemple, il existe des joueurs professionnels d’e-sport qui sont aussi connus que les joueurs de football en France. Les compétitions sont filmées et retransmises soit sur les réseaux sociaux, soit en vidéo. Cela pose des questions en matière de droits de retransmission et de sponsoring que les acteurs vont devoir intégrer dans leur stratégie d’exploitation.

Qu’en est-il de ceux que vous appelez les joueurs créateurs, c’est-à-dire des joueurs qui communiquent avec d’autres, créent des communautés et parfois des contenus. Pourront-ils toucher des droits d’auteur par exemple ?

A. C. : Pour l’instant, ces communautés de joueurs mettent généralement à disposition leurs créations gratuitement. Récemment, un éditeur a cherché à créer une plateforme d’échanges de contenus et d’objets numériques liés à son jeu. Cette plateforme était payante, et devant le tollé provoqué au sein de la communauté des joueurs, l’éditeur l’a très rapidement supprimée. Mais je suis persuadé que d’autres initiatives de ce genre vont voir le jour car il est intéressant pour les éditeurs de disposer de créations faites par d’autres, d’obtenir facilement du contenu ajouté sur leurs propres œuvres. À l’heure actuelle, tout joueur qui achète un jeu signe un contrat de licence avec l’éditeur. Celui-ci concède au joueur le droit d’utiliser le jeu vidéo pour ses besoins personnels. Toute utilisation commerciale est généralement bannie. À l’avenir, ces clauses pourraient être considérées comme disproportionnées et abusives. Prenons un exemple : imaginez un joueur qui crée une carte dans le cadre d’un jeu de tir en vue à la première personne (un « FPS » comme « Call of Duty »). Il la met à disposition de la communauté et constate que cette carte est reprise par l’éditeur et proposée comme option payante dans les versions suivantes. Il y a de quoi se sentir un peu floué. C’est la raison pour laquelle j’estime que les litiges à venir relèveront tant du droit des clauses abusives que du droit de la propriété intellectuelle.