Les Tissages de Charlieu : un fil entre tradition et modernité

Forte d’une tradition de tissage de plusieurs siècles, la petite ville de Charlieu, dans le département de la Loire, perpétue son savoir-faire grâce à la présence des Tissages de Charlieu. La PME emploie 70 personnes dédiées à la production de tissus créatifs et techniques, tout en essayant d’apporter une réponse innovante aux enjeux sociétaux et environnementaux du XXIe siècle. Rencontre avec son PDG, Éric Boël.

L’HISTOIRE DES TISSAGES DE CHARLIEU
L’histoire des Tissages de Charlieu remonte à une présence très ancienne. Dès la fin du Moyen Âge, la ville accueille une corporation de tisserands. Aujourd’hui encore, elle célèbre cette tradition lors de la procession annuelle de Notre-Dame de Septembre, patronne de la corporation. Au milieu du XIXe siècle, la révolte des Canuts réprimée à Lyon pousse les patrons soyeux à délocaliser leurs manufactures dans différentes communes alentour. Charlieu fait partie des villes élues et se spécialise alors dans la soierie. Entre les deux guerres mondiales, on compte près de 10 000 métiers à tisser à Charlieu et ses environs. Une tradition perpétuée jusque dans les années 50, où l’on entend encore le cliquetis des métiers dans la rue : il existe alors peu d’usines et la plupart des métiers sont en pension chez les particuliers de la ville et de ses entours.

Fondée en 1967 mais installée sur un site existant depuis 1902, l’entreprise Les Tissages de Charlieu est l’héritière d’une longue tradition de tissage dans la ville. Elle a déjà connu plusieurs propriétaires lorsque Éric Boël la reprend en 1997. L’activité est alors en perte de vitesse, le carnet de commandes est presque vide et la moitié des métiers est à l’arrêt.
« Le savoir-faire était là, explique le PDG des Tissages de Charlieu. Malgré les changements de propriétaires, l’activité ne s’est jamais arrêtée. Les ouvriers, les tisserands, les gareurs sont restés et leur expertise s’est transmise de personne à personne. Ils sont bien plus importants que les patrons. Lorsque j’ai repris l’entreprise, nous avons eu de la chance. Nous avons reçu un certain nombre de nouvelles commandes qui nous a permis de relancer l’activité. Vingt ans plus tard, nous avons doublé le nombre de salariés. » Dans un secteur textile français qui vit au rythme des fermetures d’usines et des délocalisations face à une concurrence mondiale à bas prix, qu’est-ce qui explique le petit miracle de Charlieu ?

Créativité, diversité et rapidité de production
Face à une concurrence effrénée et aux risques de la contrefaçon auxquels la PME rhodanienne n’échappe évidemment pas, Éric Boël ne voit qu’une réponse possible :
« Notre créativité, notre capacité de production et notre rapidité de livraison. Si nos délais de livraison dépassent trois semaines, non seulement personne n’achètera chez nous mais nous pouvons être certains que les produits que nous avons créés seront entre-temps reproduits à l’identique en Turquie, en Chine ou en Inde. La contrefaçon dans notre secteur d’activité est un véritable fléau ». Résultat, ici, les métiers tournent 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. Chaque mois, 200 000 mètres de tissu sortent des ateliers de Charlieu et 700 nouveaux tissus voient le jour. Depuis 1997, l’équipe de recherche et développement est passée de 1 à 16 personnes. « Notre ADN, ce sont les tissus destinés à l’habillement.
Ils représentent 70 % de notre chiffre d’affaires. La plupart de nos clients sont des entreprises françaises de confection qui destinent leurs produits à l’export. Nous développons également des tissus techniques — pour 20 % du chiffre d’affaires — qui sont tissés avec des fibres techniques (acier, kevlar, microfibres) aux propriétés précises : anti-feu, très absorbants, ou connectés. Enfin, nous avons nos propres produits. Ils sont le résultat du travail de nos intra-entreprises. »

Favoriser l’épanouissement des salariés pour nourrir la productivité
En 2011, les Tissages de Charlieu lancent par exemple la marque Létol, une ligne d’étoles en coton bio. Le projet est porté par une des salariés, designer textile, qui, en plus de la marque commerciale, a reçu un compte d’exploitation autonome. Aujourd’hui, l’équipe de Létol regroupe sept personnes. Les étoles sont distribuées dans 450 boutiques dans 23 pays du monde entier. « C’est Sophie Badot la patronne. Personne d’autre qu’elle n’intervient sur les décisions stratégiques qui concernent le choix de son équipe, la marque et les produits. Moi le dernier ! » ajoute Éric Boël. Le succès de la marque a fait des émules parmi les autres salariés de Charlieu. Depuis, elle a été rejointe en 2014 par Tonnerre de Belt, des ceintures en tissu jacquard, et en 2016 par Bis Repetisac, des sacs tissés à partir de fibres recyclées. Une démarche sociale innovante au cœur des valeurs de l’entreprise. Dans l’équipe de création, le télétravail est une pratique courante : « Pas de contrôle, pour qu’ils soient efficaces, les salariés doivent se sentir autonomes et responsables. D’autant plus que nous avons les outils pour travailler à distance, explique Éric Boël. Une liaison par webcam avec les ateliers leur permet de travailler efficacement. Notre ancrage dans le XXIe siècle se fait tout naturellement en fonction des besoins de nos clients et de l’agilité intellectuelle des personnes qui travaillent avec nous pour s’y adapter ». Un modèle social qui attire : l’entreprise n’éprouve aucune difficulté à recruter. Sur les 70 salariés que comptent les Tissages de Charlieu, 10 % ont moins de 25 ans. L’effectif compte aussi 12 % de travailleurs handicapés, un taux supérieur aux minima légaux. Les salariés perçoivent enfin tous les six mois un intéressement calculé sur 25 % du résultat net avant impôt de l’entreprise.

Engager une dynamique éco responsable
Au modèle social innovant s’ajoute un fort engagement écologique de l’entreprise.
Dès 2009, Les Tissages de Charlieu ont été à l’origine de la création de l’association Alter-Tex qui regroupe d’autres industriels du secteur textile. Conformément à la charte, Les Tissages de Charlieu réalisent 25 % de leur chiffre d’affaires à partir de textiles bio ou recyclés et s’engagent à limiter au maximum leurs émissions de gaz à effet de serre. Les Tissages de Charlieu sont d’ailleurs certifiés par le label international GOTS (Global Organic Textile Standard) qui reconnait le respect des exigences environnementales et sociales à toutes les étapes de la production. Mais si l’entreprise a dégagé un chiffre d’affaires de 11,5 millions d’euros en 2016, elle ne cède pas au triomphalisme. « Impossible de prédire si nous aurons les mêmes résultats en 2017. Quand tout va bien, notre visibilité n’excède pas trois semaines. » Éric Boël mise cependant sur l’héritage d’un savoir-faire unique, allié à la dynamique de ses salariés. « Nous ne portons pas notre passé, nous sommes portés par lui. Nous avons conscience que la véritable richesse de l’entreprise, ce sont les personnes qui y travaillent et la confiance réciproque que nous nous portons les uns les autres. L’entreprise doit être un support d’épanouissement de l’être humain. C’est la clé pour continuer de produire des tissus en France. »