Pour Daren Tang, DG de l’OMPI, « l’innovation et l’esprit d’entreprise français ont le potentiel de changer le monde »

L’INPI a fêté fin 2021 ses 70 ans. Un anniversaire célébré tout au long de l’année, avec un moment fort le 25 novembre dernier : la cérémonie de remise des Trophées INPI, en présence de nombreuses personnalités, dont Daren Tang, directeur général de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle. Dans une entrevue exclusive, ce dernier est revenu sur l’histoire de l’innovation française en soulignant notamment l’une de ses forces : son investissement dans le capital humain et dans la recherche. Découvrez son interview.
Visuel Pascal Faure-Daren Tang
  • Quel regard portez-vous sur l’innovation française ?

 

Daren Tang : L’innovation française a une longue tradition d’excellence, vieille de plusieurs siècles. D’innombrables découvertes et innovations françaises – par exemple, le stéthoscope, l’aspirine, la quinine médicinale, la photographie, le cinéma, les conserves ou la pasteurisation – pour n’en citer que quelques-unes, ont révolutionné le monde.

Selon l’Indice mondial de l’innovation de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), la France dépasse de nombreux autres pays développés pour ce qui est de l’innovation. Sans surprise, la France obtient les meilleurs résultats dans le domaine de la création, grâce à ses marques fortes et à ses prouesses en matière de design.

Ces dernières années, l’Indice mondial de l’innovation de l’OMPI a également mis en lumière la politique d’innovation de la France dans deux domaines.

Tout d’abord, la France est l’une des rares nations au monde à avoir sensiblement augmenté son budget de recherche-développement malgré la pandémie de COVID-19, signe de sa confiance et de son énergie pour construire l’avenir. La France a également dévoilé des programmes de relance économique visant tout particulièrement les nouveaux secteurs et produits innovants.

Deuxièmement, la France a été l’une des rares nations à prévoir des mesures d’aide en cas de pandémie, sous la forme de mécanismes de liquidité spécialement destinés aux start-up et aux jeunes entreprises, contrairement aux autres pays qui se sont principalement concentrés sur les entreprises bien établies. Station F est un bon exemple d’aide allant au-delà des subventions, avec la création d’espaces de réunion pour les communautés d’innovation.

 

 

  • Selon vous, quels sont les atouts de la France en ce qui concerne la propriété industrielle ?  Dans quels domaines ou sur quels sujets estimez-vous qu’il y a matière à amélioration ?

 

D.T. : La France, qui est l’un des membres fondateurs de l’écosystème moderne de la propriété intellectuelle, reste forte en matière de dépôt de demandes de droits de propriété intellectuelle de tous types. Elle figure parmi les 10 premiers déposants de demandes de brevet, de demandes d’enregistrement de marques et de demandes de dessins et modèles dans les systèmes d’enregistrement internationaux de l’OMPI, ainsi que dans son système national.

Par ailleurs, l’une des forces de la France est de continuer d’investir dans le capital humain et la recherche, avec des entreprises françaises comme Sanofi, Peugeot, Valeo, Ubisoft, l’Oréal, Total, Dassault Systèmes et Michelin – pour n’en citer que quelques-unes – qui figurent parmi les principaux investisseurs en recherche-développement dans le monde.

Mais je pense que ce qui est intéressant et qui constitue clairement un point fort de l’innovation française, c’est son flair et son lien avec l’esthétique et la société. Prenez, par exemple, l’invention du cinéma par les frères Lumière, ou la photolithographie par Nicéphore Niepce, qui a ouvert la voie à la création de la photographie. J’espère que cela restera une caractéristique essentielle de l’innovation française, car à terme, les inventions ne servent pas seulement à améliorer le quotidien, mais aussi à l’embellir.

Le domaine auquel la France pourrait accorder davantage d’attention est la création de nouveaux espaces pour l’innovation de rupture selon un modèle ascendant, parallèlement à un modèle dirigiste plus traditionnel suivant un modèle descendant. Cela ne sera pas facile, car pour soutenir les start-up et l’innovation de rupture, il ne suffit pas de mettre en place la bonne infrastructure, mais il s’agit aussi de créer des comportements adéquats en matière de prise de risque, d’adapter l’environnement commercial dans certains secteurs et de faciliter les connexions entre ces innovations et les partenaires mondiaux. La France a néanmoins beaucoup évolué dans l’appui apporté aux nouveaux modèles d’innovation. Station F en est la manifestation la plus visible, tout comme les récentes annonces du gouvernement concernant des investissements colossaux visant à faire de la France un centre mondial pour les start-up technologiques. Je suis pleinement convaincu que toutes ces mesures renforceront l’écosystème français de l’innovation et enrichiront l’écosystème technologique mondial.

 

 

  • Pourquoi est-il important que l’OMPI et l’INPI poursuivent et renforcent leur collaboration ?

 

D.T. : L’OMPI et la France sont liées par une longue relation qui remonte à la création de l’écosystème mondial de la propriété intellectuelle, à la fin des années 1800. Il est donc non seulement important, mais aussi naturel que l’OMPI et l’INPI collaborent étroitement.

Mais au-delà des liens historiques étroits datant de plusieurs décennies, l’une des leçons tirées de la pandémie a été l’importance des partenariats pour relever les défis mondiaux, tels que la lutte contre la pandémie, les inégalités ou le changement climatique.

Dans un monde où la propriété intellectuelle s’impose comme un actif clé et où l’innovation devient de plus en plus déterminante pour la réussite économique des pays, les offices de propriété intellectuelle comme l’INPI vont au-delà de leur rôle traditionnel d’enregistrement de la propriété intellectuelle et de régulateur pour devenir de puissants acteurs et catalyseurs de l’innovation.  L’OMPI s’inscrit pleinement dans cette transformation, et nous continuerons d’approfondir notre relation avec l’INPI et d’apporter l’appui nécessaire pour renforcer encore l’écosystème de la propriété intellectuelle et de l’innovation en France.

 

 

  • Quels conseils souhaiteriez-vous partager avec les chefs d’entreprise français ?

 

D.T. : Ayez une vision mondiale dès le départ.

L’innovation et l’esprit d’entreprise français ont le potentiel de changer le monde, comme de nombreuses innovations françaises l’ont fait au cours des siècles.  À cet égard, je suis particulièrement optimiste face à la nouvelle vague de projets et à la mentalité des start-up de jeunes diplômés et cadres français. Des pôles de start-up et des centres d’incubation performants apparaissent également dans les quartiers les plus dynamiques des villes françaises, ce que le Gouvernement français encourage depuis quelques années.

Dans le même temps, les plus grands défis mondiaux auxquels nous sommes confrontés – la pandémie de COVID-19, le changement climatique, et la nécessité de créer une croissance durable dans le monde entier, ainsi que la numérisation de nos économies – ont augmenté la demande de solutions innovantes.

Tous ces éléments créent les conditions nécessaires pour que les chefs d’entreprise français ne se contentent pas d’apporter leurs idées à la France et à l’Europe, mais au monde entier.