Comment protéger ses innovations sur le marché européen ?

14/11/2022
Pour les entreprises, en particulier des secteurs technologiques et numériques, la protection par brevet est essentielle pour éviter la contrefaçon, le vol de procédés ou de secrets de fabrication. Mais, choisir le type de protection à utiliser pour une innovation reste parfois complexe et le 1er juin 2023 un nouveau titre européen entrera en vigueur : le brevet européen à effet unitaire. Cet article apporte un éclairage sur les différentes procédures à disposition des entreprises au niveau européen.

Emilie Gallois, responsable du pôle prospection et prestations à la Direction de l'action économique, revient sur les différences, les avantages et les inconvénients du brevet national, du brevet européen et du nouveau système de brevet européen à effet unitaire.

Comment protéger une invention technologique, la mise au point d’un nouveau procédé sur le marché européen ? 
Emilie Gallois : Pour protéger ce type de création, il faut être titulaire de titres de propriété industrielle comme le brevet d’invention ou le certificat d’utilité qui confèrent une protection sur un territoire donné. 
Pour protéger un procédé, il est également possible d’opter pour le secret de fabrique (qui n’est pas un titre de propriété industrielle). Dans ce cas il faut, s’assurer que l’ingénierie inverse (le fait de pouvoir découvrir l’invention lorsqu’on est en possession du produit fini) est impossible et, d’autre part, mettre en place toutes les mesures indispensables à la préservation du secret dans l’entreprise. Si l’invention secrète vient à être divulguée ou découverte par un tiers, il ne sera plus possible de déposer un brevet et d’obtenir un monopole.

Il n’existe pas de titre de protection à portée universelle dans la totalité des pays du monde. 
Pour obtenir une protection sur le marché français, il faut être titulaire d’un brevet valable en France : il peut s’agir d’un brevet français, un certificat d’utilité ou un brevet européen validé en France.
Aujourd’hui, pour obtenir une protection sur le marché européen, il faut être titulaire d’un brevet européen qui soit « activé » dans les pays européens stratégiques pour l’entreprise.  
Les textes qui régissent les modalités du brevet européen ne concernent pas uniquement le territoire de l’Union Européenne. Trente-neuf pays ont accepté les termes de la Convention sur le brevet européen dont la Grande-Bretagne, la Suisse, la Turquie, etc.

Les points essentiels à retenir :
  • Le brevet européen est institué depuis 1973, alors que le brevet européen à effet unitaire entrera en vigueur le 1er juin 2023 ; tous deux seront accordés par l’OEB
  • Les brevets français, européens et européens à effet unitaire doivent respecter les mêmes critères de brevetabilité (nouveauté, activité inventive et application industrielle)
  • Actuellement, le contentieux des brevets est exclusivement porté devant les tribunaux nationaux 
  • La future juridiction unifiée des brevets (JUB) coexistera avec les tribunaux nationaux, mais elle exercera sa compétence sur tous les demandes de brevet et brevets européens délivrés
  • La demande d'effet unitaire est facultative et gratuite
  • La requête en effet unitaire ne peut se faire que sur un jeu de revendications unique pour l'ensemble des États membres participants
  • Un titulaire peut cumuler un brevet français et un brevet européen à effet unitaire sur une même invention par paiement des annuités correspondantes auprès de l’INPI et de l’OEB
  • Il peut être stratégique de maintenir un brevet national et un brevet européen à effet unitaire. En cas d’annulation par la JUB, le titre français continuerait à exister
  • Le choix de l’outil juridique adapté, entre le brevet européen « classique » et le brevet européen à effet unitaire, interviendra au moment de la délivrance du titre par l’OEB. Avant la fin du délai de priorité (12 mois), l’entreprise devra choisir les pays d’extension de son brevet national 
  • Cette décision doit prendre en compte la couverture géographique, les brevets clés de la concurrence, l’écosystème concurrentiel et doit faire l’unanimité des copropriétaires du brevet, le cas échéant
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Ce webinaire revient sur les différents choix de protection au niveau européen.

 Les points suivants seront abordés :
- pourquoi déposer au niveau européen ?
- comment choisir entre le brevet européen, brevet unitaire ou secret ?
- quels sont les facteurs à prendre en compte pour opérer ce choix ?

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Le brevet

Le brevet protège une innovation technique, c’est-à-dire un produit ou un procédé qui apporte une nouvelle solution technique à un problème technique donné.

L’obtention d’un brevet dépend de plusieurs critères :

  • l’invention sur laquelle l’entreprise souhaite un monopole doit être nouvelle
  • inventive
  • réalisable dans l’industrie


En déposant votre brevet à l’INPI, vous obtenez, en France, un monopole d’exploitation pour une durée maximale de 20 ans. Un brevet confère un droit d'interdire toute utilisation, fabrication, importation, etc., de votre invention effectuée sans votre autorisation. Vous pouvez poursuivre les contrefacteurs devant les tribunaux. Mais le brevet se révèle aussi un moyen efficace de dissuasion : son existence suffit dans bien des cas à éviter les procédures judiciaires...
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Le certificat d’utilité

Le certificat d’utilité est un titre de propriété industrielle délivré par l’INPI qui, comme le brevet, donne un monopole d’exploitation sur une invention, mais :

  • pour une période maximale de 10 ans, au lieu de 20 ans pour le brevet
  • pour lequel aucun rapport de recherche d'antériorité n'est établi au cours de la procédure d'examen contrairement à la demande de brevet

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Quelle est la différence entre un brevet français, un brevet européen et un brevet à effet unitaire ? 

E. G : L’obtention du brevet est conditionnée au respect des conditions de nouveauté, d’activité inventive et d’application industrielle de l’invention concernée pour ces trois titres. 

Pour le moment, les litiges judiciaires concernant les brevets européens sont du ressort des juridictions nationales compétentes. Par exemple, un litige concernant un brevet européen validé en France est actuellement traité par le Tribunal de Grande Instance de Paris. 
 
Aujourd’hui, chaque pays présente des particularités réglementaires ou jurisprudentielles. À partir de 2023, la mise en place de la juridiction unifiée des brevets (JUB) devrait éviter aux personnes détentrices d’un brevet d’avoir à mener des procédures dans chaque Etat où une contrefaçon est constatée. Les juridictions nationales et la Juridiction Unifiée des Brevets créée par un accord international seront compétentes pour traiter les affaires de contrefaçon et de validité des brevets européens.

Le brevet européen à effet unitaire permettra ainsi la protection de l’invention, via une procédure administrative unique auprès de l’OEB, sur la totalité des territoires – et de manière indivisible – des Etats qui ont ou auront ratifiés des accords européens et internationaux ;
Aujourd’hui 17 Etats acceptent de participer à cette protection unitaire. Dans le futur, 25 Etats membres de l’Union Européenne pourraient accepter que la protection unitaire couvre leur territoire

La Grande Bretagne, l’Espagne et la Pologne ne font pas partie de la juridiction unifiée des brevets (JUB) ; cette Juridiction sera seule compétente pour traiter les affaires de contrefaçon et de validité des brevets à effet unitaire.

La JUB : nouvelle juridiction internationale

La JUB est une nouvelle juridiction internationale constituée pour statuer sur la contrefaçon et la validité de brevets unitaires et de brevets européens "classiques" au titre de l'Accord du 19 février 2013 relatif à une juridiction unifiée du brevet (AJUB) (voir JO OEB 2013, 287).

Les 17 États ayant déjà ratifié les accords

Les 17 États participant à la coopération renforcée ont déjà ratifié les accords et participeront au brevet unitaire lorsqu'il sera lancé, à savoir :
Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Danemark, Estonie, Finlande, France, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Portugal, Slovénie et Suède.

Les 25 États participant à la coopération renforcée en vue de la mise en œuvre du système du brevet unitaire (BU+JUB)

Les 25 États suivants participent à la coopération renforcée en vue de la mise en œuvre du système du brevet unitaire (BU+JUB) : 
Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Chypre, Danemark, Estonie, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Slovaquie, Slovénie et Suède.  

Tableau comparatif brevet Europe

À quelle date le brevet unitaire va-t-il entrer en vigueur ?

E.G : L'entrée en vigueur du brevet à effet unitaire et de l'accord sur la Juridiction Unifiée du Brevet est actuellement prévue pour le 1er juin 2023. À partir de décembre 2022, des mesures d’application provisoires exceptionnelles devraient permettre aux entreprises dont les brevets européens sont prêts à être délivrés de pouvoir demander à bénéficier du système unifié des brevets. 

Comment les déposants pourront-ils demander l’effet unitaire de leur brevet ?

E.G : Pour obtenir un brevet à effet unitaire, l’obtention préalable d’un brevet européen traité par l’OEB sera indispensable. En pratique, à la réception de la notification émise par l’OEB annonçant la prochaine délivrance du brevet et au plus tard un mois après la date de publication de la mention de la délivrance au Bulletin européen des brevets, le titulaire devra déposer, à l’OEB, une "demande d'effet unitaire" en vue d'obtenir cet effet. 

Un titulaire pourra-t-il cumuler en France un brevet français et un brevet européen à effet unitaire pour une même invention ?

E.G : Il sera possible, sous certaines conditions, de bénéficier de la protection du brevet européen et du brevet français, pour la même invention, en France, ce qui n’était pas possible jusqu’à maintenant. 
Pour cela, il faudra que le titulaire :
- paie les annuités des deux brevets (brevet français et brevet européen désignant la France) ; 
- et ne déroge pas à la compétence de la Juridiction Unifiée du Brevet pour traiter les affaires de contrefaçon et de validité de son brevet européen (il ne devra pas demander la dérogation à cette juridiction supranationale, compétente par défaut). 

Quels seront les avantages/les inconvénients de maintenir ses deux titres en vigueur ?
E.G : La protection conférée par le brevet à effet unitaire sera uniforme et indivisible dans les pays participants (une sorte de « tout ou rien ». Si le brevet est annulé dans le cadre d’un litige judiciaire du fait d’un usage antérieur –  en Grèce par exemple – la protection sera réduite à néant sur l’ensemble du territoire couvert par l’effet unitaire (au minimum 17 États, et dans le futur peut-être 25). 
D’autre part, pour obtenir l’effet unitaire, le jeu de revendications (partie légale du brevet définissant la portée juridique d'un brevet et délimitant le monopole d'exploitation que possède son titulaire) doit être strictement identique pour l'ensemble des 25 États membres participants. La demande d'effet unitaire sera gratuite. En pratique, s’il existe une antériorité valable uniquement en Italie, par exemple, le jeu de revendications du brevet à effet unitaire devra être adapté pour tenir compte de cette antériorité, y compris sur les 24 autres pays.

Un brevet français ne pouvant être annulé que par la juridiction nationale compétente, toute remise en cause de la validité d’un brevet étranger ou d’un brevet à effet unitaire n’aura pas d’impact sur la validité de celui-ci.  Par conséquent, il peut être stratégique de maintenir les deux brevets en vigueur (c’est-à-dire de payer les annuités des deux brevets), en particulier si le marché français est un marché stratégique pour l’entreprise, car si le brevet à effet unitaire venait à être annulé par la Juridiction Unifiée du Brevet, le titre français continuerait à exister. 
En outre, en cas d’existence d’une antériorité pertinente sur un autre territoire que la France, la protection conférée par le brevet français, en France, pourra être plus large que la protection conférée par le brevet à effet unitaire.
Chaque brevet européen du portefeuille doit donc être examiné au regard de la stratégie commerciale et de l’impact individuel de ces brevets dans l’entreprise. Il est préférable d’être accompagné par un professionnel du droit, un conseil en propriété intellectuelle ou un avocat spécialisé lors de cette transition.

Quelles seront les étapes à suivre ?

E.G : Le dépôt d’une demande de brevet français est une étape simple et peu coûteuse pour une entreprise française, a fortiori si elle compte moins de 1 000 salariés (voir tableau ci-dessous). Il pourrait s’agir d’une étape systématique des PME françaises.

L’entreprise, qui connaît ses concurrents et ses marchés stratégiques (où sont localisés ses concurrents, ses fabricants, ses distributeurs, ses partenaires…) doit ensuite identifier les pays – notamment européens – dans lesquels elle veut protéger l’invention. Avant la fin du délai de priorité (12 mois), elle devra choisir les pays d’extension de son brevet national. Le choix de l’outil juridique adapté, entre le brevet européen « classique » et le brevet européen à effet unitaire, interviendra au moment de la délivrance du titre par l’OEB. Cette décision doit notamment prendre en compte la couverture géographique, les brevets clés de la concurrence, l’écosystème concurrentiel et doit faire l’unanimité des copropriétaires du brevet, le cas échéant.

Il existe plusieurs cas de figure, prenons des exemples concrets :
Si l’entreprise souhaite une protection dans au moins 4 pays participants au système unifié des brevets

Prenons par exemple la France, l’Italie, les Pays-Bas, la Suède, le Portugal), l’effet unitaire sera financièrement plus avantageux que le système de validation classique du brevet européen. 

La Grande-Bretagne, l’Espagne et la Pologne ne participant pas au système unifié des brevets, la protection sur ces territoires nécessitera de toute façon la validation et le maintien du brevet européen « classique » auprès de ces offices (et la fourniture d’une traduction dans leur langue officielle) si la protection est souhaitée sur ces territoires.
 

Si un brevet européen « classique » est préféré à un brevet à effet unitaire sur les pays participants au système unifié des brevets, le titulaire :
  • pourrait demander de déroger à la Juridiction Unifiée du Brevet au profit des juridictions nationales. A noter qu’un concurrent peut tout de même assigner, le premier, devant la Juridiction Unifiée du Brevet.
  • doit valider les Etats désignés et payer une taxe pour chacun d’eux, dans un délai spécifique. 

Si la France est désignée, le brevet européen remplacera le brevet français pour toutes les caractéristiques semblables. 

Si les deux brevets sont identiques, le cumul de protection est :
  • impossible, si le titulaire a demandé la dérogation à la Juridiction Unifiée du Brevet et il suffira de payer les annuités du brevet européen visant la France EP (FR) pour entretenir la protection en France ;
  • possible, si la juridiction compétente est la Juridiction Unifiée du Brevet. Pour bénéficier du cumul de protection, nationale et unitaire, il faudra payer les annuités pour le maintien des deux brevets.
Si la protection par le brevet à effet unitaire est privilégiée :

Il sera possible – et même préférable – de conserver le brevet français si le marché français est stratégique pour l’entreprise. Dans ce cas, il faudra payer les annuités des deux brevets.

Les montants ci-dessous concernent les taxes administratives uniquement et ne prennent pas en compte les honoraires des conseils mandataires pour la rédaction, la traduction, la validation et le maintien en vigueur d'un brevet. 
 

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