Cityzen Sciences : champion français du textile connecté
Après une carrière bien remplie dans l'industrie des télécoms, puis dans un grand laboratoire de santé; après avoir créé sa propre entreprise de technologies appliquées à la santé puis l'avoir revendue, Jean-Luc Errant avait décidé d'arrêter de travailler. Une pause méritée qu'il pensait mettre à profit pour voyager. Mais chassez le naturel de l'entrepreneur... il reviendra vite vous donner de bonnes idées ! Au cours de l'un de ses voyages aux Etats-Unis, il y a sept ans, il remarque la passion des Américains pour la mesure de leur performance sportive : distance parcourue, fréquence cardiaque, nombre de calories brûlées, etc. "J'ai été frappé par cet appétit de données comportementales", se remémore-t-il. Pour ce spécialiste des technologies associées à la santé, cette tendance au quantified self ne pouvait rester sans suite. Jean-Luc Errant continue à voyager et à observer, mais cette fois avec une idée en tête : trouver le moyen de faciliter la captation de ces données. En 2008, il créé Cityzen Sciences sur cette intuition qui se révélera payante.

Le flair de l'entrepreneur
C'est lors d'un jogging avec un ami bardé de capteurs – "un équipement peu pratique et, il faut bien le reconnaître, assez ridicule" souligne Jean-Luc Errant –, que l'idée jaillit : que prend-t-il avec lui lorsqu'il fait du sport ? "Clés, portable, et encore. Par contre, je n'oublie jamais de m'habiller...". Et si la captation des données se faisait par le vêtement ? "Le tissu devient alors un médium actif, un vecteur qui soit autre chose que simplement ce que l'on porte", s'enthousiasme-t-il. De retour en France, Cityzen Sciences devient pilote dans le projet "Smart Sensing", un consortium d'entreprises, d'établissements universitaires et de partenaires sportifs qui a pour objectif de développer des textiles connectés. 7, 2 millions sont versés au projet par BPI France.
Mais sur ce marché, la concurrence est rude et mondiale... Toutefois, la France dispose de deux atouts de taille : sa connaissance historique du textile et son savoir-faire en microélectronique. Sans compter le flair de l'entrepreneur : alors que les concurrents se concentrent sur la prouesse technologique, Jean-Luc Errant adopte une toute autre stratégie. "Je m'étais fixé comme objectif d'avoir une innovation technologique mineure dans un premier temps, mais majeure en terme d'utilisation car j'estime qu'il faut répondre à la logique d'usage avant tout". Les révolutions technologiques qui viennent trop tôt ne sont pas adoptées par le marché, celles qui arrivent trop tard n'assurent pas pérennité économique de l'entreprise. Le futur client doit être au coeur des préoccupations. Autrement dit, rien ne sert d'avoir une solution technologique de pointe si le vêtement s'avère désagréable ou peu pratique. Le D-shirt, pour "digital shirt", mettra deux années de recherche pour sa mise au point. Le temps de concevoir des solutions – et des machines – pour intégrer les capteurs au tissu sans que cela soit perceptible pour l'usager. Par cette réussite, Cityzen Sciences attire une attention mondiale. Celle des concurrents incluse ! Pour éviter d'être copiée, l'entreprise dépose une dizaine de brevets. "Le premier objectif de 2016 est de continuer à le faire, c'est une priorité", explique Jean-Luc Errant. La jeune société noue également de nouveaux partenariats, par exemple avec un centre de recherche japonais avec lequel elle travaille actuellement sur un maillage, une sorte de croisement de fils conducteurs sur lesquels on viendra déposer des capteurs selon les besoins : fréquence cardiaque, vitesse, position. Et demain : température, déshydratation, ph... Après la conception de ce maillage, le "but ultime" sera de "parvenir à placer le capteur dans la fibre même du tissu".
Cette stratégie d'innovation technologique par paliers permet à Cityzen Sciences d'investir le marché et de se positionner clairement dans un modèle B to B. La jeune société n'est pas un vendeuse de textile grand public, elle n'en a d'ailleurs pas les capacités de production. Elle vend son procédé technologique à des clients industriels. Un contrat a ainsi été signé avec l'équipementier sportif Asics, intéressé par le D-shirt. Autre secteur visé par la start-up : la santé mobile. Le monitoring de paramètres liés à des pathologies telles que le diabète ou l'hypertension pourrait être grandement facilité grâce aux vêtements connectés.
L'autre intuition gagnante de Jean-Luc Errant est d'être présent à tous les bouts de la chaîne de valeur : non seulement dans la collecte des informations mais aussi dans leur traitement. Il crée donc Cityzen Data pour offrir une plateforme d'analyse des données. Celle-ci est disponible pour des entreprises clientes, aussi bien dans le domaine de l'aviation que du sport en passant par les fabricants d'oreillers : "toute société intéressée par la collecte d'informations comportementales, ou dont les propres clients sont désireux de mieux connaître leurs habitudes", résume-t-il.
Avec une trentaine de salariés, Cityzen Sciences entend rester avant tout une équipe centrée sur la recherche et le développement. "Il ne s'agit pas de devenir vendeur de tissu mais d'être leader de l'intégration de l'intelligence embarquée dans tous types de tissus". Avec toujours cette particularité présente depuis les origines : "Réfléchir à des innovations technologiques en fonction des innovations d'usage".
