Brevets et design : Quarks attaque !

Quand on invente pour le compte d'autrui, à qui appartiennent les solutions trouvées et qui doit les protéger ? Voilà un questionnement auquel se confronte régulièrement Nicolas Triboulot, fondateur de l'agence de design Nicolas Triboulot + agence Quarks née il y a une vingtaine d'années en Lorraine, à deux pas de la cristallerie de Baccarat qui fut et demeure un client historique. Aujourd'hui, l'agence est parisienne et compte trois personnes. En plus des commandes au cahier de charges souvent précis et limité, l'équipe prend aussi du temps pour rêver, expérimenter, créer. « On réfléchit à tout et à rien, on explore des chemins », raconte-t-il. Selon les cas, il décide ensuite de protéger ses inventions en son nom ou en partenariat avec des clients... voire de créer une nouvelle activité pour les exploiter ! Revue de quatre exemples illustrant les différentes stratégies de protection explorées par l'agence.

Premier exemple : de la peinture magnétique protégée par un brevet en nom propre

Il y a une dizaine d'années, Nicolas Triboulot collabore avec Leclerc pour « Le Manège à bijoux ». Dans ce cadre, il commence à s'intéresser aux propriétés des aimants. « J'ai fait des recherches sur le magnétisme, je trouvais que c'était une caractéristique fabuleuse. Je me suis dit : "Pourquoi ne pas aller plus loin ?"», raconte-t-il. Il se demande notamment s'il est possible de concevoir une peinture magnétique sur laquelle fixer des posters ou des luminaires. Une visite rapide sur Internet lui apprend qu'a priori l'idée n'existe pas encore. Les gros fabricants de peinture à qui il en parle se montrent plutôt ouverts mais ne sont pas prêts à ce stade à se lancer dans l'aventure. Ni une, ni deux, Nicolas Triboulot et son équipe essaient de mettre au point une version de cette peinture. « Nous avons préparé une mixture avec de la limaille de fer, que nous avons talochée sur un panneau de bois», se remémore-t-il. Ce prototype est présenté au Salon Maison & Objet et suscite la curiosité de nombreux visiteurs. Un vrai succès qui décide le designer à aller encore plus loin. Il noue un partenariat avec un fabricant de peinture. En s'appuyant sur un cabinet de conseil en propriété industrielle, il dépose deux brevets sur la composition de la fameuse mixture. Estimant que son métier est d'avoir des idées mais pas de fabriquer ni de vendre, il créer une nouvelle entité juridique baptisée Magnétude et recrute les talents pour aider le projet à prendre son envol, séparément des activités de l'agence. Aujourd'hui, cette peinture innovante est commercialisée sous le label Magnétik par Leroy Merlin, devenu un partenaire privilégié mais non exclusif.

Deuxième exemple : un papier peint reconfigurable protégé par le client initial

Quelques années après Magnétude, Nicolas Triboulot est consulté par un industriel du papier peint, Filpassion. Il a alors l'idée d'un papier peint modulable constitué d'une structure alvéolaire blanche sur laquelle viennent se ficher des petites boîtes rondes de couleur en mousse. « Cela permet à l'utilisateur de créer son propre décor et de le changer à sa guise, un jour de faire un sapin de Noël, le lendemain de dessiner un Pokémon », illustre-t-il. Cette idée séduit le client, qui décide de lancer ce papier peint original sous le nom de « Wallpixi ». Filpassion dépose un brevet, l'agence Quarks devant toucher des success fees... mais malheureusement, le Wallpixi ne rencontre pas son public et cesse d'être commercialisé.

Troisième exemple : un système de passes étanche protégé par un brevet conjoint

L'agence de design collaborait régulièrement avec le groupe Bernard Loiseau pour le concept et le design de restaurants. Un jour, Nicolas Triboulot reçoit une demande originale : suite à l'adoption de la loi sur le tabac dans les lieux publics, il est devenu interdit de fumer dans les petits salons du restaurant Tante Marguerite, situé juste à côté de l'Assemblée nationale et traditionnellement fréquenté par les députés fumeurs. « La directrice désemparée me demande : "Est-ce qu'on peut faire quelque chose?" », se remémore le designer. Celui-ci imagine alors avec ses équipes un système de passes étanche pour protéger le personnel du restaurant des volutes de fumée. Il conçoit également un scénario de service fluide et ludique – il faut prévenir les convives que leur repas est à disposition. Des glaces sans tain sont utilisées afin que les serveurs puissent voir où en sont les invités, sans que ceux-ci se sentent épiés. Des contraintes techniques, juridiques, mais aussi esthétiques, puisque l'ensemble doit s'intégrer dans le décor existant. Résultat : « Dominique Loiseau a trouvé le concept génial, elle s'est dit qu'elle pourrait le commercialiser auprès d'autres restaurateurs », raconte Nicolas Triboulot. Le système de passes fait donc l'objet d'un dépôt de brevet par le groupe Bernard Loiseau et l'agence Quarks. « C'est le groupe Bernard Loiseau qui a financé la totalité du brevet ; nous étions codétenteurs, et touchions des success fees », précise-t-il. « Cela a été un vrai succès, même si les us et coutumes ont évolué tellement vite qu'aujourd'hui l'interdiction de fumer dans les restaurants est passée dans les moeurs », constate-t-il.

Et pour la suite : une peinture électronique on/off

Chez Nicolas Triboulot + agence Quarks, on continue à imaginer sans cesse de nouvelles trouvailles. La dernière en date est celle d'une peinture fonctionnelle qui sert aussi d'interrupteur électrique. En la touchant, on peut allumer ou éteindre un dispositif grâce à une solution électronique intégrée. Comme pour Magnétude, l'agence a mené de bout en bout ce projet, de la conception à la réalisation. L'idée a été protégée par un brevet et devrait être développée dès que Nicolas Triboulot aura trouvé des partenaires distributeurs.

 

Brevet en son nom propre, brevet conjoint, brevet au nom du client avec des royalties sont donc autant de stratégies explorées par l'agence de deisgn pour valoriser et protéger ses inventions. « On peut être innovant de façon simple, trouver des solutions intelligentes, malignes et peu coûteuses... et veiller à la propriété intellectuelle des inventions », conclut Nicolas Triboulot.