« La R&D a un coût, il faut créer une barrière à l'entrée pour protéger l'entreprise »

Dans notre série sur le rôle de la propriété intellectuelle dans la croissance des start-up, rencontre avec Thibaut Jarrousse, cofondateur de 10-Vins. La start-up nantaise créée en 2012 conçoit, développe et commercialise D-Vine, une machine de dégustation de vin au verre.

Comment avez-vous eu l’idée d’une machine de dégustation de vin au verre ? Sur quoi s’est appuyée votre stratégie d’innovation ?
Thibaut Jarrousse : Nous sommes trois associés passionnés de vin. J’avais pour habitude d’acheter des bouteilles directement aux vignerons. Il m’est arrivé de constater une différence de goût entre la dégustation sur place et chez moi. J’ai suivi des cours d’œnologie et compris à quel point les conditions de service (température, aération) sont importantes. Nous avons alors eu l’idée d’une machine qui permettrait de servir une expérience de très haute qualité, un verre de vin parfait chez soi, comme au restaurant. Nous avons mis cinq ans à la développer : il fallait créer un système qui en une fraction de seconde puisse faire chuter la température d’un liquide. Il s’agissait aussi de comprendre le fonctionnement de l’aération, les 500 à 700 molécules aromatiques qui composent le vin ne réagissant pas toutes de la même façon. Notre stratégie s’est donc appuyée avant tout sur le pragmatisme. Nous avons passé les premières années à construire des prototypes. Ces allers-retours très concrets entre un modèle numérique et la réalité nous ont permis d’avancer sans nous décourager. Ce même pragmatisme nous guide pour la phase industrielle. Les premiers modèles construits coûtaient très cher : cela pouvait tout remettre en question car on était en droit de se demander si nous pourrions trouver des débouchés commerciaux. Nous avons ainsi adapté notre design aux contraintes budgétaires et techniques pour faire baisser ce coût.

Comment avez-vous protégé votre innovation ?
T. J. : Nous avons déposé une enveloppe Soleau dès 2010, au tout début de nos travaux, puis un premier brevet en 2013 qui protégeait la technologie sur trois composantes clés : la mise à température d’un liquide, l’aération, le nettoyage. Un deuxième brevet a été déposé en 2014 sur la partie aération et la puce radiofréquence du système. La R&D a un coût, donc il est nécessaire de créer une barrière à l’entrée pour protéger l’entreprise. Mais nous nous sommes rendu compte qu’il ne fallait pas avoir cette démarche trop tôt. Je vois autour de moi beaucoup d’entrepreneurs qui ne parlent pas de leur innovation tant qu’ils n’ont pas déposé le brevet. Une fois cette démarche accomplie, ils réalisent que leur trouvaille ne correspond pas tout à fait aux besoins des clients. Ils ont breveté quelque chose qui ne sert à rien. J’encourage donc les entrepreneurs à aller voir leurs futurs clients avec des prototypes. Bien sûr, il s’agit de le faire dans un cercle restreint et de veiller à ne pas divulguer trop largement l’idée novatrice.

Avez-vous déployé votre stratégie en matière de propriété industrielle à l’international ?
T. J. 
: Entre le dépôt et la publication des brevets, il s’écoule 18 mois. Dans cet intervalle, nous avons pu tester l’attractivité de notre innovation en dehors de France. Nous avons par exemple obtenu deux prix au CES (Consumer Electronic Show) de Las Vegas. Les États-Unis sont devenus un marché important pour nous. Nous avons aussi organisé une présence au Royaume-Uni, grâce à un VIE (Volontaire international en entreprise). Ces différents constats nous ont permis de sélectionner avec soin les pays dans lesquels nous devions protéger notre idée.