Comment valoriser des savoir-faire grâce aux indications géographiques artisanales et industrielles ?

Le 11 mars, les « poteries d’Alsace Soufflenheim / Betschdorf » ont été homologuées « indication géographique » par l'INPI, portant ainsi à 13 le nombre d’indications géographiques artisanales et industrielles en France. Tout comme l’innovation, la valorisation des savoir-faire est un facteur reconnu de croissance pour les entreprises. Si un cadre juridique existe en France pour protéger les savoir-faire locaux grâce aux indications géographiques industrielles et artisanales, la mise en place d’une reconnaissance au niveau européen est l’un des défis de la propriété industrielle dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne. Découvrez l’interview d’Antoine Ginestet, Chargé des indications géographiques à l’INPI.
Carte de France des Indications géographiques

Quand et avec quel objectif l’indication géographique a-t-elle été instaurée en France ?


Antoine Ginestet : Les indications géographiques (IG) ont été instaurées en 2014 par la loi « Consommation ». La mise en place d’un dispositif comparable à celui des IG agro-alimentaires, qui ont été un véritable succès tant pour les producteurs que pour les consommateurs, était demandée par les entreprises pour reconnaître les produits emblématiques des savoir-faire locaux traditionnels. L’objectif est triple :

  • rassurer le consommateur quant à la provenance et la qualité réelle d’un produit, non seulement dans les commerces traditionnels, mais également et surtout sur les plates-formes électroniques ;
  • mettre en avant les producteurs locaux authentiques, trop souvent victimes d’usurpation de la réputation de leurs produits par des concurrents peu scrupuleux ;
  • valoriser les particularités des patrimoines locaux, maintenir et redynamiser l’emploi, pérenniser les savoir-faire en développant les formations spécifiques et attirer l’attention des visiteurs sur les produits du territoire.
     


Protéger les savoir-faire locaux grâce aux indications géographiques industrielles et artisanales est l’un des défis de la propriété industrielle dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne. Quelles sont les prochaines étapes pour l’IG à l’échelle européenne ?


A. G. : L’Union européenne s’intéresse depuis 2014 à ce sujet, fermement défendu par le Parlement européen. Il est certain qu’une simple protection nationale n’a guère de sens aujourd’hui dans une économie très internationalisée. Les pouvoir publics et l’INPI ont constamment œuvré dans le sens d’un élargissement du dispositif au niveau communautaire, dans l’intérêt de nos producteurs. En effet, il a fallu convaincre nos partenaires. Or, du fait de la diversité des systèmes juridiques, certains États sont plutôt favorables au système des marques. Ce travail de longue haleine est sur le point de porter ses fruits. Des étapes décisives ont été franchies très récemment et un consensus est sur le point d’être trouvé entre tous les États membres. Il va aboutir à un système simple, efficace et économique pour les filières. Cela permettra l’émergence d’une reconnaissance des IG artisanales et industrielles sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne, qui constitue une part très importante des débouchés de nos entreprises. C’est l’Office européen de la propriété intellectuelle, basé à Alicante, qui devrait être investi de la reconnaissance au niveau européen des IG nationales.
 


Quels sont les avantages constatés depuis la mise en œuvre des IG pour les entreprises qui réalisent ces produits ?


A.G. : Il faut essentiellement distinguer deux types d’avantages :

D’une part, l’IG est un droit de propriété industrielle, qui permet d’interdire l’usage de l’appellation aux entreprises qui ne respectent pas le cahier des charges. Ce pouvoir d’interdiction est très efficace, car il s’étend à toute dénomination qui pourrait évoquer l’IG protégée. De plus l’organisme de défense et de gestion de l’IG bénéficie du soutien des pouvoirs publics, notamment des services de la Répression des fraudes, ce qui est le corollaire très concret de la reconnaissance par l’État d’un patrimoine qui doit être protégé. Par ailleurs, ces organismes, qui fédèrent tous les producteurs légitimes de l’IG, permettent de mutualiser les actions de protection et évitent des procédures longues et coûteuses, souvent dissuasives pour les entreprises quand elles sont isolées.
Ainsi, l’association Pierre de Bourgogne, qui avait enregistré une marque collective éponyme, avait beaucoup de mal à faire respecter ses droits du fait des coûts d’une action judiciaire. Une fois titulaire de l’IG, elle a réussi à assainir le marché, y compris et surtout sur les plates-formes internet, avec de simples mises en demeure sous forme d’envoi d’un courrier en recommandé. Les producteurs ont ainsi regagné des parts de marché au moyen d’une action simple et peu coûteuse qu’ils n’auraient jamais pu engager isolément : c’est toute la force du collectif de l’IG. Très concrètement, ce sont près de 80 contrefaçons qui ont été stoppées et une seule action judiciaire a été nécessaire contre un récalcitrant : pour les entreprises, les économies sont énormes.

D’autre part, l’IG est également un formidable outil de promotion pour les produits et les entreprises : le grand public et les médias sont toujours friands de ces sujets, qui touchent chacun de près. L’organisme en charge de la gestion de l’IG peut valoriser ce capital sympathie pour entretenir la flamme, ce qui permet là encore une mutualisation appréciable pour les membres : on est toujours plus fort ensemble qu’isolé.


Deux exemples concrets :

  • le grenat de Perpignan, qui est un bijou traditionnel des Pyrénées-Orientales, était très largement reconnu dans son territoire d’origine, mais souffrait d’un déficit de notoriété au plan national. La labellisation officielle IG a contribué à y remédier. S’y sont ajoutées des initiatives originales des bijoutiers du syndicat porteur de l’IG, notamment une superbe exposition consacrée à ce produit au Palais des Rois de Majorque à Perpignan, étape incontournable pour les touristes de passage. Cela s’est traduit par une augmentation rapide du chiffre d’affaires pour les bijoutiers, qui s’est maintenue 3 ans et demi après l’homologation ;
     
  • le siège de Liffol, première IG homologuée en France, située dans les Vosges, est l’un des premiers fournisseurs mondiaux de mobilier en ébénisterie de petite série. Les artisans avaient tenu à inclure, parmi les membres associés à l’organisme de défense et de gestion, le centre local de formation, l’AFPIA Nord-Est. Dès le hall d’accueil de cet établissement, l’IG est mise en valeur pour les visiteurs et c’est une source de fierté pour tous les élèves et formateurs.


Ainsi, la stratégie de regroupement des producteurs pour obtenir la labellisation d’une IG s’avère très bénéfique et dépasse parfois les attentes initiales.