On ne naît pas innovatrice, on le devient !

La recette pour devenir innovatrice ? De la confiance en soi, le goût du risque et des encouragements
Frédérique Clavel, fondatrice du réseau d'incubateurs Les Pionnières

Si parmi les créateurs d'entreprises innovantes les hommes restent encore plus nombreux, les femmes ne sont pas en reste et pourraient créer la surprise. Frédérique Clavel, chef d'entreprise et fondatrice du réseau d'incubateurs féminins Les Pionnières en sait quelque chose. On lui doit aussi l'élargissement du concept de jeune entreprise innovante aux domaines du service et de l'innovation sociale.

Elevée de manière égalitaire au milieu de ses frères et cousins, Frédérique Clavel explique n'avoir pas du tout été préparée à ce qu'elle appelle la « misogynie ambiante » au travail. Une expérience vécue après des études en école de commerce et une première carrière réussie qui la mène jusqu'au poste de directrice financière dans la distribution : « C'est là, vers 35 ans, que je me suis heurtée au fameux plafond de verre » se rappelle-t-elle. La battante n'aime pas la confrontation... et choisit donc de contourner l'obstacle en créant Fincoach, sa propre société de conseil en stratégie financière : « Je dis aux femmes : au lieu de se bagarrer vainement, créons des entreprises à notre image et prenons le pouvoir ! ». Si elle prône l'entrepreneuriat féminin, Frédérique Clavel croit encore plus à la mixité. Elle co-fonde ainsi en 2010 le fonds d'investissement Mix For Value réservé aux sociétés dont un des dirigeants est une femme. Une mixité encouragée également au sein de son réseau d'incubateurs pour des raisons tout à fait pragmatiques : « Ça représente mieux notre société et donc les clients des entreprises ! » précise la businesswoman. Aussi, quand on l'interroge sur le dilemme de structures dédiées aux femmes ou encore d'une politique des quotas pour laquelle elle s'est engagée au sein de l'IFA (Institut Français des Administrateurs), sa réponse est sans appel : « Evidemment, je ne suis pas pour des quotas dans l'absolu, mais ce n'est pas un dilemme puisque c'est nécessaire ! En 2006, il n'y avait que 5% de femmes dans les conseils d'administration. Grâce aux quotas, cette part est montée à 40% ».

« Notre objectif n'était pas de créer des ghettos de femmes mais d'être un accélérateur de mixité »

Ce sont d'ailleurs les mêmes constats qui ont poussé Frédérique Clavel à monter en 2003 l'incubateur féminin Paris Pionnières : « Il y avait déjà un déficit de création d'entreprises par les femmes – autour de 30% – mais encore plus dans l'innovation où elles représentaient moins de 5%. Notre objectif n'était pas de construire des ghettos de femmes mais d'être un accélérateur de mixité. A l'époque, il y avait environ 100 projets accompagnés à Paris. Nous avons expliqué à la Mairie qu'en suivant ne serait-ce que 15 femmes, on faisait monter le taux - c'est mathématique ! » s'amuse-t-elle. Mais un obstacle supplémentaire se pose, qui touche à la définition d'une entreprise innovante : « Les entrepreneuses avaient des tas d'idées innovantes – de service, managériales ou sociétales – qui n'étaient pas considérées comme telles. On valorisait les innovations de rupture, donc technologiques, plutôt portées par des hommes dans les faits. ». Une conception aux lourdes conséquences financières puisque seules les entreprises « officiellement innovantes » peuvent alors prétendre à des financements publics. « Pourtant, ces femmes aussi devaient défricher des marchés, et c'est long » se remémore la fondatrice des Pionnières. Elle se battra donc non seulement pour accompagner ces entrepreneuses mais aussi pour faire évoluer la définition de l'innovation. C'est le sens de sa proposition acceptée pendant les Assises de l'Entrepreneuriat organisées par le gouvernement en 2013. Pour elle, il est essentiel d'encourager et accompagner les créateurs d'entreprises en général et innovantes en particulier : « La manne publique doit être là : dans le financement de l'avenir, au démarrage, où tout se joue ». Depuis, sa structure aussi a évolué et fait des petites : Fédération Pionnières, fondée en 2008, regroupe aujourd'hui 17 incubateurs qui accompagnent 200 entreprises créées par des femmes partout en France, mais aussi au Maroc, au Luxembourg et en Belgique.

« Derrière le strass et les paillettes, il y a du lourd »

D'après l'expérience de Frédérique Clavel, de nombreuses femmes ont des idées que n'auraient pas forcément les hommes car elles concernent directement leurs vies ou leur place dans la société. C'est le cas de telle entrepreneuse qui invente la crèche de ses rêves ou de telle autre qui créé le premier site web de ventes de vêtements de grossesse. Mais pour elle, il ne faut pas s'y tromper « derrière le strass et les paillettes ou le côté « mignon » que verront certains, il y a du lourd ! De la logistique, des compétences et de la croissance ». Ainsi, Anne-Laure Constanza, Pionnière de la première heure et créatrice d'Envie de fraise, a lancé la première marque entièrement digitale de vêtements de grossesse. Elle est aujourd'hui à la tête d'un chiffre d'affaires de 13M d'euros... Parmi les premières femmes accompagnées par son réseau, Frédérique Clavel cite aussi Chrystèle Gimaret, la créatrice de l'innovante société de nettoyage Artupox : une agence qui met en scène le nettoyage se faisant dans les endroits publics (des salons professionnels par exemple) avec un personnel valorisé et habillé, des charriots événementiels et des produits biologiques. Un concept que sa créatrice a depuis importé en Suède et au Danemark. Dans les exemples plus récents, on citera en vrac : un showroom de location de prêt-à-porter de luxe sur abonnement, une entreprise de location de petites voitures électriques (des Twizy) à Marseille ou enfin une école où des enfants apprennent à coder informatiquement !

Pour paraphraser la grande Simone de Beauvoir, auteur de l'essai Le Deuxième sexe, Frédérique Clavel l'assure : on ne naît pas innovatrice, on le devient. « La recette ? Il faut de la confiance en soi, le goût du risque, quelques encouragements... et vogue la galère ! » conclut-elle joyeusement.